De son discours d’Aix-la-Chappelle, la presse a essentiellement retenu qu’Emmanuel Macron pressait Angela Merkel de mettre fin au « fétichisme perpétuel [des] excédents budgétaires et commerciaux »… C’est une vision très restrictive d’un discours beaucoup plus vaste et dans lequel, du reste, le président français a aussi procédé à l’autocritique de la France, sa propension à la dépense publique, sa crainte de changer les traités européens depuis le traumatisme du « non » au traité constitutionnel de 2005. « Oui, je suis prêt à dire que nous devons faire des réformes en profondeur et des transformations pour baisser la dépense publique, qui est la seule condition pour avancer dans cette Europe et davantage respecter la norme », a-t-il affirmé, jeudi, devant le parterre de personnalités internationales venues assister à la remise du prix Charlemagne. À travers ces quatre grands discours européens – celui de la Sorbonne, celui de la Pnyx, celui de Strasbourg et avec celui d’Aix-la-Chappelle –, Emmanuel Macron a parachevé sa proposition d’une Europe qui ne se fera pas en un jour, mais « se décide maintenant », dit-il. Parmi ses priorités : changer les traités. Il est devenu impossible de décider à 28, bientôt 27, en se contentant d’un « consensus » basé sur le plus petit dénominateur commun. Le « consensus », c’est la paralysie ; la paralysie, c’est la faiblesse à un moment où d’autres – Trump aux États-Unis, les grands groupes du numérique, la Russie de Poutine, la Chine de Xi Jinping… – sont tentés de décider pour nous. Ici, de notre politique au Moyen-Orient ; là, de la gestion de nos données personnelles ; plus loin, de nos frontières à l’Est ; sans parler de notre approvisionnement énergétique, de la défense de nos brevets intellectuels, de notre politique commerciale, etc. Bref, de tous les éléments qui composent la souveraineté des Européens qui, sans altérer la souveraineté nationale, la complète dans les domaines où l’État-nation n’est plus assez puissant pour régler les problèmes et s’imposer face aux grands ensembles qui se sont dressés sur le globe. Une Europe des cercles concentriques Ce faisant, Emmanuel Macron dessine une Europe des cercles concentriques, où le degré d’intégration serait différent selon les thématiques. Dans son esprit, la zone euro – aujourd’hui 19 membres – en est l’épicentre, et doit aller plus loin en se dotant des instruments budgétaires susceptibles de la stabiliser, de parer aux crises et de la développer. Inutile de tourner autour du pot : la logique de cette idée suppose des transferts monétaires des régions prospèrent aux régions impactées par une crise. Elle suppose aussi que les économies de la zone euro convergent au lieu de diverger. Il s’agit donc bien d’aider les régions les plus faibles par une ressource budgétaire communautaire. Il en va aussi, plaide-t-il, de l’intérêt des pays riches, tant les économies des 19 membres de la zone euro sont interdépendantes. Pour le dire simplement : aider la Grèce, c’est aider les entreprises allemandes à commercer avec la Grèce. C’est dans ce sens-là que la critique de Macron à l’égard du « fétichisme perpétuel pour les excédents budgétaires et commerciaux » doit être entendue. Une Europe des coopérations renforcées et différenciées ne suppose pas, pour autant, qu’un « club de pays », toujours le même, constituerait une élite fermée. Le président français a toujours pris soin de préciser que les États membres qui estimeraient ne pas devoir pousser plus loin la coopération seraient toujours les bienvenus à rejoindre le « club » plus tard, s’ils en remplissent les critères. Du reste, le « club des pays les plus ambitieux » n’est pas toujours composé des mêmes membres. Sur la migration, nous avons compris que la Pologne n’était pas en état d’être solidaire du Sud. En revanche, Varsovie est très allante sur la construction d’une politique de défense commune. On peut donc diverger sur un point mais être proche sur d’autres. Simplement, dans ce cas, on ne peut obtenir toute l’aide économique de l’Ouest si l’on ne se tient pas solidairement aux côtés des pays du Sud quand ils doivent faire face à une crise migratoire. Macron ne transigera pas sur ce point. Dans le futur cadre financier de l’Europe (2021-2027), la France en fera un point dur de la négociation. La convergence n’induit pas l’uniformité Sur la convergence fiscale, Emmanuel Macron met ses gestes en accord avec ses mots. La trajectoire de l’impôt sur les sociétés qu’il a dessiné pour le quinquennat est censée rejoindre peu à peu la situation allemande. Toutefois, « convergence » ne signifie pas « uniformité ». L’Allemagne fédérale est, de ce point de vue, un pays à prendre en exemple. La Réunification n’a pas placé sous la même toise les Länder de l’Ouest et ceux de l’Est. Il ne viendrait à l’esprit de personne de vouloir diriger la politique économique de l’Allemagne depuis Berlin. Les Länder disposent d’une autonomie qui entretient entre eux une saine émulation. Mais la péréquation existe entre les Länder riches et les Länder pauvres… Cette différence culturelle entre le président français, plutôt jacobin, et la chancelière Merkel, habituée à un fédéralisme complexe, pèse au moment de compléter l’Union économique et monétaire. Mais elle dessine aussi une voie de passage : la solidarité existe au sein de l’Allemagne entre les Länder riches et les Länder pauvres, pourquoi ne devrait-elle pas exister au sein de la zone euro qui obéit, du fait de la monnaie commune, à la même volonté intégratrice ? Ou alors, il ne fallait pas faire l’euro…
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